La romancière Tayari Jones
Tayari Jones est une enseignante américaine originaire d’Atlanta. Un de ses romans a aussi été traduit en français et a obtenu le Women’s Prize. Il s’agit de Un mariage américain que je n’ai pas lu.
Je n’avais pas entendu parler de cette autrice avant de lire Des baisers parfum tabac, découvert grâce à Babelio. La quatrième de couverture du roman ma intriguée. Avoir le point de vue des enfants dans une situation de bigamie, cela n’est pas commun !
L’histoire de Des baisers parfum tabac
L’histoire de Des baisers parfum tabac
L’histoire principale se déroule de la fin des années 60 jusqu’en 1987. Quelques scènes finales se déroulent en 1990 et 2000.
Voici un roman doux-amer qui fait la part belle aux petits arrangements entre membres d’une famille ou pseudo famille. Comment avoir des temps de vie équitables quand on doit les partager avec une sœur légitime ? Comment grandir et se construire dans l’ombre de grands-parents soit illégitimes, soit qui la renient (grand-père maternel) ? Comment s’affirmer à l’adolescence quand on doit faire des choix en fonction d’une sœur quand on est soi-même un secret, une inconnue ? Et si ce statut était finalement un avantage pour s’affranchir plus vite pour Dana ?
La première partie du roman
C’est la première partie du roman Des baisers parfum tabac, édité chez Presses de la cité, avec la voix de Dana et de sa mère Gwendolyn. Dana est la narratrice.
Elle devient une belle jeune fille complice de sa mère quand il faut faire de la surveillance (elles épient leurs concurrentes). Mais Dana veut plus, elle veut cette équité dont on la prive depuis toujours. Choisir son université par exemple. Elle est intelligente, a plus de capacités que Chaurisse d’après elle, mais là où ira Chaurisse, Dana n’ira pas ! Leurs routes ne doivent pas se croiser.
James, son père, et son double Raleigh, son faux frère naviguent entre les 2 foyers entre ambiguïté et crises qui couvent. Raleigh a eu un moment l’ambition d’épouser Gwendolyn. Un autre arrangement qui aurait pu régler beaucoup de choses. Mais Gwendolyn a refusé. Elle est libre, s’assume grâce à son emploi, élève et protège ainsi sa fille.
La deuxième partie de Des baisers parfum tabac
La 2e partie donne la version de Chaurisse et de Laverne. Là encore la jeune fille est la narratrice, c’est une égalité de traitement des personnages ! On se rend compte à quel point James a profité de la naïveté de Laverne, sa mère. Elle tombe dans un piège à 14 ans et se retrouve sur un lit sans comprendre ce qui se passe. Elle tombe enceinte et doit arrêter l’école. Le mariage est inévitable et il est chapeauté par la mère de James, Bunny. Le bébé ne survit pas, mais des années plus tard, Laverne réussit à mettre au monde Chaurisse.
Comme Gwendolyn, elle parvient à se hisser socialement et gère un salon de coiffure qui a du succès. L’effet miroir est surprenant. Et surtout, on découvre comment en réalité Dana s’est immiscée dans leur vie pour suivre son père à la trace et comparer la vie des 2 familles. Entre effroi et surprise, elle se rapproche de sa sœur et de sa belle-mère. À noter que le terme de belle-mère n’est jamais employé !
Mais tout va basculer par une soirée où Dana et Chaurisse partent au nord d’Atlanta pour une fête. Un des pneus de la voiture que conduit Chaurisse crève. Elle appelle son père pendant que Dana cherche du secours dans la station-service. Quand Dana l’apprend, elle entre en crise et s’enferme dans les toilettes, appelle sa propre mère pour qu’elle vienne la chercher. Alors que Chaurisse accueille son père – et celui de Dana ! – ainsi que l’inséparable Raleigh dans une ambiance crispée, Raleigh se trompe de prénom et l’appelle Dana.
Ils s’apprêtent à redémarrer quand Gwendolyn débarque. Elle arrive à sortir Dana des toilettes. Sa réaction est surprenante et enfantine quand elle voit son père. C’est la première fois qu’elle ne le voit pas en tenue de travail. Leur vie bien organisée autour de la bigamie vole définitivement en éclat.
La suite, c’est la confrontation au salon de coiffure entre les mères et leurs filles alors qu’une fête pour les 20 ans du salon était prévue.
Suite à cela, Laverne met James à la porte. Elle est consolée par sa fille qui finit par élucider certains mystères. Laverne va-t-elle mettre fin à presque 30 ans de vie de couple ? La résilience s’invite ici, car Laverne choisit de laisser James revenir pour reprendre le cours de leur vie.
À 30 ans, les jeunes femmes se revoient et la seule question de Chaurisse pour Dana est : as-tu revu James ? Conclusion, reste à ta place, semble-t-elle, dire et ne franchit pas la ligne rouge. Fini les baisers parfum tabac de James, les photographies de Dana que prenaient Raleigh à tout bout de champ, les comparaisons entre foyer.
Mon avis sur Des baisers parfum tabac : un coup de cœur !
Les personnages et les thèmes
Ce livre est tout sauf manichéen. Il n’y a pas de tout est bien ou tout est mal ! C’est toute la complexité. Car James n’est pas méchant. Il a assumé sa paternité et le mariage avec Laverne. Il a aussi été présent auprès de Dana et Gwendolyne autant que possible. Mais en grandissant, Dana ne peut faire de choix qu’en fonction de Chaurisse. C’est à ce moment-là, à l’adolescence que Dana s’immisce dans leurs vies et instille son poison.
De doux-amer, on glisse vers de l’amertume, puisque la cellule éclate sans retour en arrière. Dana et sa mère en font les frais. Un nouvel ordre est établi.
L’autrice évite tout jugement et on s’attache à tous les personnages qui constituent un puzzle, une communauté. Elle a donné de la lucidité en particulier à ces personnages féminins. Elle les enveloppe d’une aura attachante, un équilibre qui efface leur côté obscur parfois. On se prend de tendresse pour les personnages principaux, mais également les éléments secondaires, amies de Dana, son grand-père, Willie Mae, la voisine de Gwendolyn, Bunny.
La part belle est faite aux personnages féminins, le quatuor mères-filles. James et Raleigh sont deux chevilles qui font tenir l’ensemble de la structure. Ils apparaissent comme peureux et dépendants des femmes. Ils sont aussi totalement interdépendants, un couple en somme ! Le système est fondé sur un matriarcat qui comprend à sa tête Bunny, celle qui a recueilli Raleigh, l’orphelin, puis Laverne, la novice, et reçoit Dana la petite-fille illégitime, sur son lit mortuaire. Elle donne l’image de l’acceptation, de la droiture, du partage. C’est une quête du bonheur ou de miettes de bonheur.
Ce qui est surprenant c’est que Tayari Jones nous fait presque oublier que la bigamie (mot présent à 2 ou 3 reprises) et le détournement de mineure (qui a lieu 4 fois, pour les mères et les filles) constituent des délits. En fond, il y a aussi le racisme dans cette ville d’Atlanta principalement et l’empreinte de Martin Luther king. L’écrivaine est pas vindicative, ce n’est pas son propos.
L'écriture et la construction du roman
L’écriture est délicate, dosée, dénuée de vulgarité ou de violence, à de rares exceptions près. On peut lire de belles formulations.
Citation : « Rien de tel qu’une augmentation capillaire pour donner du courage à une fille. C’est un peu comme du champagne qui te monte directement au cerveau et te transforme en une version plus audacieuse de toi-même. »
La construction du roman est basée sur un effet miroir autour de 2 parties et avec des allers-retours entre présent et passé. L’ensemble représente une saga familiale afro-américaine sur 3 générations.
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