Je viens de lire successivement deux romans très différents sans le vouloir. J’ai eu envie de les comparer pour parler d’écriture. Quand je lis, je fais attention au style narratif, car j’écris moi-même. Je suis attentive au vocabulaire, à la construction du récit, à la description des personnages… Et dans ces deux romans, beaucoup de ces points sont très différents. Je vais donc en faire une lecture comparée.
Je parlerai d’abord des lieux de déroulement de l’intrigue, puis des personnages, puis du style d’écriture et enfin de l’esprit général. Les deux romans cités sont La patience des traces de Jeanne Benameur et Naissance d’un pont de Maylis de Kerangal.


Un seul lieu ou une multitude de lieux d’action dans les romans
Dans La patience des traces, on retrouve essentiellement deux lieux : une ville portuaire française, non nommée et une île japonaise Yaeyama. Certes d’autres lieux sont évoqués en tant que souvenirs d’actions passées.
Dans la première partie, un appartement y est décrit avec vue sur le port, le port lui-même et quelques restaurants. D’autres lieux sont évoqués, Paris et le cabinet du personnage principal.
Le périmètre d’action de la première partie est restreint contrairement à la suite du récit où l’on est essentiellement à l’extérieur, dans de grands espaces. La seconde partie se déroule dans une chambre d’hôtes tenue par un couple âgé, lui est céramiste, elle collectionneuse de vêtements traditionnels. L’île de yaeyama au large du Japon est tranquille et la nature est omniprésente, l’océan, les raies mantas, le ciel, l’eau, le soleil, des sources chaudes aussi et le jardin des propriétaires. La chambre d’hôte est faite pour admirer l’extérieur ou se reposer. Les lieux traversés sont tranquilles, propices à la méditation.
Dans Naissance d’un pont, l’action se situe dans un pays d’Amérique du Sud, non nommé, tiens, tiens ! Plus exactement, nous sommes dans la ville de Coca. D’autres villes sont décrites, Paris, Dubaï, une bourgade du Canada, Grozny… L’action principale se déroule d’un bout à l’autre à Coca où convergent tous les personnages qui viennent construire un pont. On est donc dans une ville en développement, bruyante, cosmopolite, dangereuse, à la frange d’une forêt primaire peuplée d’Indiens. Nature contre ville. C’est un pays qui a une côte océanique.
Les personnages de Jeanne Benameur et Maylis de Kerangal
Dans La patience des traces, peu de personnages se côtoient. Le principal étant un psychanalyste, Simon, célibataire et sur le point d’arrêter de travailler. Il se souvient de certains patients, de son amour de jeunesse et de son meilleur ami, un trio. L’introspection est ce qui caractérise ce roman. C’est une quête, un retour vers le passé douloureux qui a vu son meilleur ami Mathieu mourir après sa trahison. Simon était amoureux de Louise et elle a couché avec Mathieu.
Au Japon, on croise les hôtes et c’est quasiment tout, à part quelques enfants.
Dans Naissance d’un pont, quelques personnages sont centraux, Le Boa, maire de Coca, qui commandite la construction de l’ouvrage, le pont. Georges Diderot, le maître d’œuvre, Sanche, le grutier, Katherine, ouvrière, Summer, responsable béton, Soren Cry, un jeune canadien qui a du sang sur les mains et a fui, deux potes Mo et Seamus. Et puis, la multitude des ouvriers, des citadins qu’on croise. Autrement dit, ça grouille. Les personnages sont plutôt en rupture.
Mais la ville est aussi un personnage. Un chapitre y est consacré en particulier avec son historique de ville pionnière où tout est possible même le pire.
Le style d’écriture, l’épreuve de la comparaison
Les phrases de Jeanne Benameur sont plutôt courtes, résolument épurées à l’image des deux mots du titre, patience et traces. Voici un exemple :
« Il cherche un livre, le remède éprouvé à tout. S’enfoncer dans la lecture. Oublier. »
Les verbes sont très importants. J’ai pris la page 48 pour la citation, mais je vais la garder pour étayer mes propos. Le vocabulaire est lié à l’introspection, aux émotions, aux sentiments.
Réfléchir revenir,
lire,
rêver,
touché,
préparé,
oublier…
Dans Naissance d’un pont, les phrases sont des logorrhées, soit très longues et elles fourmillent de détails techniques, d’actions. On est soit sur le chantier, soit dans la ville, soit dans la forêt qui grouille d’animaux et de vie. Que ce soit de jour ou de nuit, la vie continue, impatiente et parfois inquiétante.
Les phrases font l’effet d’un rouleau compresseur. Peu de sentiments surgissent. On est plutôt dans des faits, froids, directs, une ambiance masculine, macho, même pour les femmes. Le vocabulaire décrit la dureté des destins, à l’épreuve de la construction du pont titanesque et hors norme.
J’ai choisi la page 193 comme exemple. Les verbes suivant ressortent et on devine parfaitement l’ambiance :
s’acheminent,
perturbe,
se lèvent,
travaillent,
s’éclatent,
aiment,
encapsule,
s’excitent…
C’est un mélange de peur et d’excitation, de défi permanent, de virilité.
L’ambiance dans les deux romans de Benameur et de Kerangal
Ma comparaison de lecture se poursuit avec l’ambiance générale des deux romans.
Beaucoup de douceur, d’introspection, de lenteur mêlée à une initiation et à un retour à soi chez Jeanne Benameur. Simon se positionne hors du temps. Il cherche un sens à sa vie. Tout est affaire de liens, de transmissions, d’humains qui souffrent, s’aiment.
La renaissance va de pair avec une période de maturation. L’observation, le temps de vivre, de partager, de méditer est ce qui caractérise le livre La patience des traces. Déconstruire pour retrouver la vérité ou un lever le voile sur des doutes. Partir pour revivre.
Dans Naissance d’un pont, les sentiments sont peu présents, on est dans l’action, le challenge permanent, la tension, la fascination, la violence aussi. Les relations affectives sont brèves. Le pouvoir, la corruption et la maîtrise de soi sont mises en avant. C’est la description d’un monde impitoyable que décrit l’autrice.
Mon appréciation pour ces deux romans est très différentes. La patience des traces est un coup de cœur. C’est un livre d’une grande beauté, qui irradie littéralement.
Naissance d’un pont est rugueux, dur, macho. Mais je suis admirative du travail de recherche, des termes techniques, de l’agencement des différentes situations.
C’est un livre puissant qui reflète un monde en mouvement perpétuel. Il m’a fait penser à Sur la route de Jack Kérouac. Ici, c’est vivre pour bâtir. Vous avez lu ces deux livres ? Qu’avez-vous pensé du style d’écriture et de ma lecture comparée ?
Leave a Reply